Banjska, le monastère martyr

En lisière de Kosovska Mitrovica, la chaîne montagneuse de Rogozna abrite une histoire singulière, celle du monastère de Banjska. Traversée de grands événements qui ont marqué l’histoire de la Serbie, de l’occupation ottomane aux pogroms anti-chrétiens de 2004, le monastère de Banjska a connu un passé mouvementé, parfois tragique mais aussi une destinée et une fidélité extraordinaire. Solidarité Kosovo a eu l’honneur d’apporter une pierre à la restauration de cet édifice chrétien, joyau de l’Europe médiévale.

De style gothique avec un intérieur byzantin : un alliage de l’occident et de l’orient

Bâti entre 1312 et 1316 à la demande du roi serbe Stefan Milutin pour y être inhumé, le majestueux monastère de Banjska se dresse sur l’écrin vert de la vallée de Zvečan, au nord du Kosovo, bordée par la rivière Ibar. Édifié dans un style gothique, une esthétique d’origine française et propre à l’Europe occidentale, le monastère de Banjska est l’un des deux seuls du genre au Kosovo. Le second n’étant autre que le monastère de Visoki Decani.

Les travaux de construction furent conduits par le prieur Danilo II, qui devint par la suite, patriarche de l’Église serbe. Outre l’église dédiée Saint-Étienne, le site chrétien comprenait à l’origine des dortoirs et un réfectoire ainsi que des murs d’enceinte et des tours. Autre particularité architecturale, la façade de l’église était parée de pierres tricolores, blanche, rouge et bleue, formant un revêtement unique dans la région. 
En contraste avec l’architecture extérieure d’inspiration occidentale, l’intérieur de l’église était entièrement adapté au rite orthodoxe, avec ses fresques majestueuses et son dôme unique paré du Christ Pantocrator surplombant l’ensemble. Ce style unique en Europe, représentant un syncrétisme architectural, à la croisée des influences catholiques et orthodoxes, est appelée école de Raska.

Rasé, démoli, brûlé, converti en mosquée, le monastère ressuscite en 1939

L’histoire du monastère de Banjska est emblématique des vicissitudes de l’histoire des Balkans et plus particulièrement celle du Kosovo. 
Soixante-dix ans après sa construction, la dernière demeure du roi Milutin, symbole de l’essor de l’État serbe médiéval, ne résista pas au déclin annoncé par l’invasion turque. Après la bataille de Kosovo Polje en 1389, marquant la défaite des troupes serbes face à l’Empire Ottoman, le monastère fut rasé sur l’ordre du sultan. Une destruction claironnée par les fossoyeurs pour affaiblir moralement les Chrétiens de la région, tombés sous leur servitude.

Reconstruit par les fidèles orthodoxes des bourgades environnantes, le monastère est à nouveau démoli au XVIe siècle par les occupants ottomans. Comble de la domination musulmane, l’église Saint-Étienne, qui était alors presque entièrement détruite, fut convertie en mosquée au XVIIe siècle. Confisqué aux Chrétiens, le site servit au culte musulman jusqu’à la Première Guerre mondiale. Théâtre d’affrontements lors de la guerre austro-hongroise et des guerres balkaniques, l’église fut à nouveau fortement endommagée suite à un incendie. 
Il faudra attendre 1939 pour que les premiers travaux de restauration soient entrepris. Cela explique qu’il ne reste presque rien de visible de la richesse des fresques qui ornaient l’église, à l’exception de quelques traces sur la coupole. Interrompus durant la période communiste, les travaux reprennent en 1990.

C’est en ce lieu symbolique et dans des circonstances émouvantes que l’histoire de Solidarité Kosovo prend racine par le hasard d’une rencontre avec le prêtre de la paroisse croisé quelques jours plus tôt à Mitrovica. Banjska est le premier monastère visité par les bénévoles français de Solidarité Kosovo il y a maintenant plus de 14 ans dans une ambiance particulièrement émouvante. Voyez donc notre retour sur cet évènement.

À la croisée des chemins avec Solidarité Kosovo

Vendredi 7 janvier 2005 – Au petit matin, le froid est mordant. La neige a recouvert d’une couche épaisse l’enceinte du monastère sans arriver à dissimuler les stigmates des pogroms passés. Le silence propice au recueillement est interrompu par les cloches de l’église Saint-Étienne qui carillonnent à toutes volées. La messe de Noël est célébrée fidèlement au calendrier grégorien. Des cris de joie retentissent et insufflent vie et couleur au bâtiment en ruine. Les enfants de Banjska accourent sur le parvis. Ils sont habillés chichement. Ils portent des chaussettes en laine ficelées au pied par des sandales en plastique. Le sourire franc et l’œil pétillant, ils saluent du regard six jeunes français à peine plus âgés. Une ligne de cartons les sépare. A l’intérieur, les fruits de la récolte d’aide en faveur des Serbes du Kosovo organisée à Grenoble, à Paris et ailleurs. Arnaud Gouillon s’agenouille. Il déniche une jolie poupée aux joues rosies et l’offre à la petite Marija. Elle l’enlace avec délicatesse. C’est le premier jouet de sa vie. Elle parait déjà amoureuse. La distribution humanitaire s’amorce. Les cloches continuent à sonner. Solidarité Kosovo est née.

Treize ans plus tard, les enfants de Banjska ont grandi. Solidarité Kosovo aussi. Les liens de fraternité et de solidarité avec les Serbes du Kosovo se sont renforcés comme ceux qui unissent l’association au prêtre de la paroisse de Banjska. Père Danilo est ainsi l’un des premiers « contacts » de l’ONG. Il est devenu depuis un ami fidèle, régulièrement visité. Au cours de sa dernière entrevue avec Arnaud Gouillon, père Danilo a sollicité la participation de l’association pour l’aider à restaurer l’enceinte médiévale du monastère. Un projet auquel Solidarité Kosovo a contribué avec honneur tant ce patrimoine est un symbole de protection et de résistance aux aléas de l’histoire serbe et plus largement européenne. En tout, 60.000 euros ont été consacrés à la remise en état des fortifications qui ont demandé un travail minutieux et qualifié pour que l’esthétique soit fidèle à celle d’origine.

Les travaux de restauration se sont terminés il y a tout juste quelques jours. Les fidèles de la paroisse de Saint-Étienne au Kosovo ont reçu leur cadeau de Noël en avance. Mais le Père Noël promet de passer cette année encore, au lendemain de la Nativité, à l’occasion de son traditionnel convoi instauré il y a dix-sept ans, pour remettre « aux enfants des enfants de Banjska devenus parents » des jouets venus de France.