Convoi de Noël 2024: chaleur et amitié franco-serbe

Chaque convoi apporte son lot de joie, d’émotion et aussi d’indignation pour les volontaires qui découvrent la situation des Serbes du Kosovo en partageant un peu de leur quotidien.

J’accroche sur mon réfrigérateur un dessin offert par une enfant de Donja Brudika. Derrière une maison à la cheminée fumante, un sapin de Noël tout illuminé égaye ce qui semble être un rude hiver compte tenu de l’épaisse couche de neige sur le toit. Cela fait près de cinq ans que je participe chaque hiver au convoi de Noël de Solidarité Kosovo et le retour est toujours aussi difficile. Je sais que durant plusieurs jours je vais assommer mes proches de phrases qui commencent invariablement par « vous savez, au Kosovo… » et qui donnent un détail historique, gastronomique, une anecdote amusante ou émouvante. Bien souvent, je relativise les petits inconforts du quotidien quand je compare mes soucis avec les conditions de vie des Serbes des enclaves. La vague de froid a fait chuter le mercure et refroidi mon appartement ? Ce n’est rien à côté de ces maisons mal ou pas isolées où la seule source de chaleur est un poêle à bois dans la pièce à vivre.
Si ma famille écoute avec indulgence les récits de ce convoi, il est grand temps de partager ce récit avec les donateurs et les soutiens de Solidarité Kosovo dont la mobilisation a permis une année de plus de répandre la joie dans les enclaves serbes.

Nous sommes le 26 décembre, la volontaire la plus matinale s’est levée à trois heures du matin pour prendre l’avion jusqu’à Belgrade où toute l’équipe a rejoint Mladen qui nous attend avec le minibus pour entreprendre la longue route vers le Kosovo. L’immense plaine qui entoure Belgrade se transforme peu à peu au fil des kilomètres pour devenir une chaîne de montagnes qu’il faut traverser en suivant le cours de la rivière Ibar. Il fait nuit depuis longtemps quand nous arrivons au poste administratif, comme une plaie béante qui rappelle qu’une partie de la communauté internationale veut arracher le Kosovo à la Serbie.

Le passage se fait sans encombres mais quelques nouveautés sur la route laissent entrevoir les stigmates des tensions autour du monastère de Banjska. Les forces spéciales kosovares en ont bloqué les accès avec des postes de garde suréquipés. Le trajet nocturne permet aux nouvelles recrues de faire la différence entre les villages serbes où les maisons s’étalent des deux côtés de la route et les villes albanaises construites le long des voies de communication dans une débauche d’enseignes lumineuses, de magasins luxueux et de stations essence. Après ce long périple, nous sommes heureux d’arriver à l’auberge à Gracanica où nous profitons d’une bonne nuit de sommeil avant d’entamer les distributions.

Retrouvailles avec nos amis serbes

Les retrouvailles – chaleureuses – entre les volontaires français et les volontaires serbes se font aux aurores devant l’entrepôt du bureau humanitaire au monastère de Gracanica. Les nouveaux connaîtront bien vite l’humour de Milovan, la joie de vivre du père Serdjan, la gentillesse de Slavko et le rire de Marko.
Cette année, les enfants recevront un grand paquet plein de surprises, de jouets et de fournitures scolaires. Comme ils ont déjà été préparés par les équipes de Solidarité Kosovo, nous n’aurons pas besoin cette année de reconstituer des paires de chaussures, d’atteindre avec difficulté des cartons aussi grands que moi pour récupérer les derniers vêtements… cela libèrera du temps que nous pourrons passer dans les écoles et auprès des familles que nous visiterons. Une fois les camions chargés, nous prenons la route de Kamenica, l’ancienne paroisse du père Serdjan, où les élèves de l’école de Korminjane nous attendent de pied ferme. Alors que nous descendons les quelques marches qui mènent à la cours, les enfants sortent de l’école avec de grands sourires. Milovan leur donne les directives et ils se mettent en rang d’oignon pour recevoir leurs cadeaux, puis ils s’installent sur les marches de l’entrée pour les déballer avant de poser pour la photo.
Plus tard, nous allons à la crèche du village où, par un grand soleil, de jeunes enfants ont revêtus leurs plus beaux habits de Noël. Pulls de saison et bois de rennes en peluche sur la tête, ils seront pris en photo avant de partir pour les vacances. Nous voyons la première moitié des enfants et nous revenons l’après-midi pour distribuer leurs cadeaux au deuxième groupe. Pour les cinq absents pour cause de varicelle, les responsables de la crèche choisissent quelques jouets qui leur seront offerts une fois qu’ils iront mieux.
Entre-temps nous avons livré un poêle à bois à la famille Pesic. En arrivant au pied de la maison, nous avons vu flotter un drapeau noir en haut du porche et le portrait funéraire du père de famille nous a accueillis tandis que sa veuve et sa fille nous ont offert un verre de rakija, l’eau de vie locale que chaque famille distille. Elles ont tenu à remercier les donateurs de Solidarité Kosovo grâce auxquels elles peuvent remplacer leur vieil appareil défectueux.

Le témoignage de François-Marie

J’étais enchanté de participer à un nouveau convoi de Noël avec Solidarité Kosovo. Si ce n’est que la deuxième fois que je passe une fin d’année aux côtés des Serbes du Kosovo, j’ai l’habitude de l’aide aux populations chrétiennes avec des associations françaises, notamment au Liban et en Arménie. Une nouvelle fois, je suis impressionné par la qualité de l’organisation du convoi. Rien n’est laissé au hasard par les volontaires chevronnés, Serbes du Kosovo eux-mêmes pour la plupart. Dès le premier jour de donation, après avoir distribué des fournitures scolaires dans des écoles de Korminjane, l’équipe de Volontaires, guidée par le père Serdjan, prêtre orthodoxe de Gracanica habitué des convois, se rend dans une très modeste maison dans le village de Kamenica. Le temps est magnifique en ce début d’hiver, les paysages agréables, des collines arborées entoure de très sobres demeures. Nous sommes accueillis par une vieille dame devant une de ces dernières. Les murs de l’habitation sont en parpaings enduits d’une fine couche de mortier et peints. L’isolation est très sommaire comme dans toutes les maisons serbes que j’ai vues au Kosovo. Nous sommes venus afin d’offrir un poêle à bois neuf à cette dame seule. Grâce à celui-ci, la dame pourra se chauffer et cuisiner.

Je pense encore à cette dame. Isolée, avec quelques voisins, elle fait partie des derniers Serbes de ces collines, des derniers Serbes du Kosovo aussi. Elle ne se plaint pas mais, à la détresse de son peuple, à sa pauvreté visible, la vétusté de sa demeure a ajouté un récent drame : son fils est mort en 2023, électrocuté ici par la mauvaise installation de courant de sa maison. Peut-être cherchait-il à améliorer le confort de sa mère en bricolant.


Avant de rentrer à Gracanica, le père Serdjan nous fait les honneurs de son ancienne église à Kamenica, une des rares à avoir été construite sous domination ottomane. De ce fait, elle devait respecter certaines règles : ne pas être plus haute que la mosquée, pouvoir se confondre avec une maison ou encore avoir un espace pour les femmes, en hauteur, derrière un claustra.

L’école comme vecteur de lien social

Le lendemain, nous retournons dans la région de Kamenica. Cette fois, la brume s’est levée et le froid est mordant, mais cela n’entame ni notre enthousiasme, ni celui des cinquante-huit élèves de l’école de Donja Brudika ! Dans la cour de cet établissement entièrement rénové par Solidarité Kosovo en 2018 et en présence de la presse locale, nous avons installé nos cartons et remis un paquet à chaque enfant un colis avec un cadeau et des fournitures scolaires. Qu’elles n’ont pas été notre surprise et notre joie quand les plus jeunes nous ont offert des dessins réalisés avec soin ! À la fin de la distribution, les enfants ont entonné en chœur la chanson traditionnelle « Oj Kosovo, Kosovo » et des élèves de quatrième ont récité un poème de bienvenue que Mladen nous a traduit dans la soirée.

La directrice a souligné l’importance de cette école pour les Serbes de Donja Brudika qui peuvent ainsi s’assurer que leurs enfants recevront une bonne éducation, ce qui les encourage à rester et à ne pas quitter la région.

Cernica, un village martyr

Le contraste avec l’école de Cernica est saisissant ! On entre dans la cour par un porche qui ressemble plutôt à celui d’une maison, et pour cause ! Cela fait vingt-quatre ans qu’une maison individuelle a été adaptée en établissement scolaire pour accueillir les élèves des alentours. Une fois les cartons déchargés, huit classes se succèdent devant nous avec de grands sourires pour recevoir leurs cadeaux, dont des fournitures scolaires. Il y a quatre ans, l’école ne comptait que trois classes.

Le directeur de l’école nous reçoit ensuite dans son bureau, une petite pièce qui fait également office de salle des professeurs et où le psychologue scolaire reçoit les élèves qui le souhaitent. Le curé de la paroisse nous raconte l’histoire tragique de ce village. En 1999, sept Serbes dont Milos, un enfant de 7 ans, ont été tués par des tirs de kalachnikov perpétrés par des Albanais qui sont venus d’ailleurs troubler l’harmonie qui régnait jusqu’alors entre les deux communautés. Il nous explique qu’il n’y a pas une seule maison, pas une seule ruelle qui n’a pas vu le sang couler. Depuis, les Serbes subissent d’importantes pressions pour vendre leurs terres, mais ils tiennent bon. Comme à Donja Brudika, c’est l’école qui fait rester la communauté de chrétiens. Comme le dit le directeur : « chacun de vos passages nous donne la volonté et le courage de rester. Je vous remercie pour votre aide, n’oubliez pas les enfants du Kosovo et de Métochie. »

Le poêle à bois, le cœur du foyer

Nous quittons l’école pour rendre visite à deux familles du village, éleveurs de moutons, et leur apporter un poêle à bois. Le poêle à bois est un élément indispensable dans chaque maison serbe. Il sert aussi bien à se chauffer qu’à cuisiner sans craindre des coupures de courant ou d’acheminement du gaz.
Quand nous avons demandé au premier couple de quoi il avait besoin, le père nous a simplement répondu qu’avec plus de moutons ils vivraient probablement mieux.
Ensuite, il nous a fallu traverser un ruisseau et avancer sur un chemin pour rejoindre un couple déjà âgé dont la maison se cache derrière une lourde porte de bois sculpté qui date certainement d’un autre siècle. Le poêle est déposé au pied de l’escalier qui mène à l’entrée, ce sont leurs cinq enfants qui les aideront à l’installer.
Nous repartons le lendemain à l’est du Kosovo. À l’école Buivojce, il fait aussi froid que la veille, mais le soleil et les cadeaux réchauffent bien vite l’atmosphère. Ici, l’établissement est entouré par des maisons albanaises, mais la cohabitation se passe bien. Il y a même des enfants de la communauté rom qui viennent étudier ici. Les élèves reçoivent leurs cadeaux et prennent la pose avec plaisir avant de retourner en classe. Nous sommes invités à prendre un café avec les enseignants qui nous racontent leur parcours, l’évolution de la situation entre la doyenne qui prend sa retraite cette année et la plus jeune qui vient d’arriver. Nos échanges sont interrompus par une petite délégation d’élèves de CM1 qui nous remets un papier avec écrit « merci » en plusieurs langues et toutes leurs signatures.

La musique comme langage universel

C’est émus que nous nous dirigeons vers Novo Brdo, non pas pour visiter le complexe agricole qui s’agrandit chaque année, mais pour distribuer des poêles à bois.

Nous sommes reçus par le père Stevo qui nous fait visiter son église à l’histoire extraordinaire. Pour la protéger des exactions des Ottomans, il a fallu dix mille personnes pour la déplacer pierre par pierre en trois jours depuis la forteresse sur les hauteurs de la ville jusqu’à son emplacement actuel. Malheureusement, les fresques du XIVe siècle n’ont pas pu être conservées. Le jour de notre venue, une iconographe que nous avions rencontrée il y a deux ans continuait son superbe travail. Ne travaillant que l’hiver, il lui faudra encore deux ans pour terminer les nouvelles fresques.
Le père Stevo nous accueille ensuite chez lui et son fils interprète quelques chansons traditionnelles en s’accompagnant à la guitare. Ceux qui connaissent les paroles l’accompagnent volontiers et c’est à un véritable concert qui nous est offert.
Cela nous a donné des forces pour livrer un poêle dans les hauteurs du village. Trois générations vivant sous le même toit avaient bien besoin de remplacer le leur. J’ai été particulièrement touchée par la grand-mère, vacillant sur ses deux jambes mais tellement digne !

La Métochie, terre menacée

Sur le chemin de Gracanica, nous nous arrêtons pour un moment de grâce au monastère de Draganac situé à flanc de montagne, au bout d’une route sinueuse dans la forêt. Le père Xhristof nous fait visiter l’église et nous reçoit à l’hôtellerie où nous goûtons avec délice à une tisane préparée par les moines ainsi que du poisson fumé, de l’ajvar et d’autres mets adaptés aux règles du carême : pas de produits laitiers ni de viande.
Si depuis le début du convoi nous sommes restés dans l’est du Kosovo, le quatrième jour nous partons pour la Métochie. Dans cette région dont le nom signifie « terre des églises », le peu de Serbes qui sont restés après la guerre et les pogroms vivent dans des enclaves très isolées.
Nous posons donc nos cartons dans trois enclaves où la vie est particulièrement rude : Banja, Suvo Grlo et Crkolez. Comme toujours, notre venue est attendue avec impatience ! Et ce n’est pas seulement parce que nous apportons des cadeaux, des jouets ou des fournitures scolaires.

C’est aussi parce que ce convoi symbolise les relations fraternelles qui unissent les Serbes et les Français, ce convoi rappelle aux chrétiens des enclaves que nous ne les abandonnerons pas !

À Crkolez, je suis toujours heureuse de revoir Alexa, Navana et tous leurs amis. Ils grandissent tellement d’année en année !

Nous avons terminé notre bref séjour en Métochie à Visoki Decani où le père Petar nous raconte à chaque passage l’histoire du monastère, de nous décrire ses particularités ou d’expliquer des points de théologie orthodoxe qui nous échappent.
Si l’arrivée est paisible malgré les check-points de la K-For à qui nous devons laisser nos passeports pour entrer, le retour est brutal. Il faut traverser la ville de Decani qui est désormais à 100% albanaise et musulmane. Un gigantesque monument est dédié aux miliciens de l’UÇK, la milice qui a enlevé et tué des milliers de Serbes, de Roms et d’opposants politiques. Une nouveauté depuis cette année : un sigle lumineux outrageux comme on en trouve dans les villes touristiques clame « I love UÇK ». C’est donc avec un sentiment un peu amer que nous rentrons à Gracanica.

Pour commencer la dernière journée de distribution, nous restons à Gracanica après avoir assisté à la liturgie dominicale. Nous apportons à Nada et à son frère Sinisa deux lits et une cuisinière pour meubler la maison qui leur est construite avec une aide gouvernementale. En effet, leur habitation actuelle est complètement insalubre et aggrave leurs problèmes de santé. Nada a tenu à remercier les volontaires et tous les donateurs de l’association « je vois qu’il y a encore de bonnes personnes, merci de nous permettre de démarrer une nouvelle vie. »

Dernière journée au cœur des montagnes

Ensuite, nous profitons qu’il n’y a pas de neige pour prendre le long et tortueux chemin qui mène au village de Bostane, en général impraticable en cette période de l’année. C’est d’ailleurs la première fois qu’un convoi de Noël y passe, pour le plus grand bonheur de la quinzaine d’enfant de cette enclave. Ils se pressent devant le camion où nous avons déposé notre tout dernier carton et nous leur offrons les cadeaux qu’il nous reste. Avant de repartir, nous continuons à pied sur le chemin pour profiter de la vue grandiose sur les montagnes alentour. On n’y voit pas une seule trace d’activité humaine, Bostane est vraiment très isolé et coupé du monde dès qu’il neige.
En continuant la route sinueuse depuis Bostane, nous arrivons au hameau de Boljece où nous livrons notre dernier poêle à bois à une famille. Une fois l’appareil posé devant la maison, le père explique que ses voisins et amis lui prêteront main forte pour l’installer. Comme le dit le dicton local, c’est la solidarité qui sauve les Serbes, solidarité dont font preuve tous les soutiens de notre association !

Avant de rentrer nous préparer pour le réveillon, nous visitons les ruines de la forteresse de Novo Brdo. Les fouilles archéologiques y sont interdites, elles risqueraient de prouver que la présence serbe sur ces terres est bien antérieure à celle des Albanais…

De retour à Gracanica, nous décidons d’apprendre « Oj Kosovo, Kosovo » pour la chanter le soir-même à nos amis serbes. Si l’interprétation a quelques lacunes, elle vient du cœur et, si la larme qui semble briller dans l’œil de Milovan en est une bonne indication, a su toucher l’âme de nos camarades. Avec des chants, des danses et beaucoup de rires, nous passons à la nouvelle année entre pairs, entre amis, entre frères, unis par les liens d’affection et de solidarité que nous avons créés tout au long du convoi.
Personne ne revient tout à fait le même du Kosovo, même après plusieurs années, marqué par ce que nous avons vécu et vu : les rudes conditions de vie et les histoires parfois tragiques mais surtout le courage, la résilience, l’hospitalité et l’amitié du peuple serbe.

Je laisse le mot de la fin aux élèves de quatrième de l’école de Donja Brudika qui, dans le poème qu’ils ont récité le jour de la distribution des cadeaux, ont formulé trois vœux.
Le premier serait que tous les foyers au Kosovo aient un toit, de quoi se nourrir et surtout la santé.
Le deuxième serait pour eux la plus grande source de joie, que l’amour entre leurs parents soit toujours aussi intense.
Enfin, ils souhaitent que le dernier vœu soit le nôtre, à chacun d’entre nous, que nous en fassions bon usage et que nos souhaits et rêves se réalisent…
Les équipes de Solidarité Kosovo font le vœu que, ensemble, nous puissions continuer à agir en faveur
des Serbes du Kosovo !