Convoi d’été 2021 : du matériel pour les écoliers du Kosovo-Métochie

En juin 2021, une équipe de volontaires français s’est rendue auprès des habitants des enclaves serbes du Kosovo-Métochie pour y distribuer du matériel scolaire aux enfants d’une dizaine d’écoles et témoigner de l’amitié de milliers de Français. Un convoi d’été qui n’avait pas eu lieu depuis près de dix ans, que nos volontaires ont tenu à organiser en raison de l’aggravation de la situation, tant sanitaire que sécuritaire, au Kosovo, et qui a été un nouveau beau succès pour Solidarité Kosovo. Nous vous en racontons certains moments clés.

Dimanche 13 juin, Belgrade. Nos volontaires retrouvent Arnaud Gouillon, Président de Solidarité Kosovo, pour un dernier briefing avant de prendre la route vers le Kosovo-Métochie. Rappel des règles de sécurité pendant tout le convoi et de l’attitude à tenir au passage administratif. Pas d’inquiétude particulière, mais on ne sait jamais : quand Arnaud a été arrêté et interdit de séjour, rien n’avait pu le laisser deviner ; la prudence reste donc de mise, comme à chaque convoi. Arnaud nous demande de saluer de sa part tous nos amis du Kosovo-Métochie, et nous prenons la route pour six heures de voyage.

Avant même d’arriver au Kosovo, nous vivons un moment amusant et touchant : à quelques kilomètres du passage administratif, nous faisons une pause pour nous désaltérer dans une petite ville. Nous nous installons à une terrasse bien remplie et bruyante : sur une télévision installée là, Novak Djokovic est à quelques points de remporter la finale de Roland-Garros… ce qu’il fait rapidement, sous les vivats des clients du bar. Nous nous amusons de vivre ce moment ici, en Serbie, si bien qu’un de nos voisins comprend que nous sommes Français, s’approche de nous, nous parle de sa fille qui vit à Orléans, et nous offre une tournée pour fêter cette victoire, notre rencontre et l’amitié entre nos deux peuples. Surréaliste, ce moment nous plonge d’emblée dans le bain.

Lundi 14 juin au matin, nous retrouvons nos amis Milovan et Marko devant l’entrepôt du bureau humanitaire de Gracanica. Joie des retrouvailles pour certains, joie de la rencontre et de la découverte pour d’autres. Nous nous mettons au travail : il y a deux palettes de matériel scolaire, récolté en France par plusieurs associations franco-serbes, à trier, à mettre dans des cartons plus petits, à charger dans les trois fourgons qui composeront ce convoi.

À partir de ce moment-là, les journées s’organiseront de la façon suivante : le matin, tournée des écoles pour distribuer ce matériel aux enfants (qui n’ont classe que le matin en cette fin d’année scolaire) ; l’après-midi, rencontres et visites diverses. Sur le papier, c’est un peu monotone ; en vrai, chaque nouvelle rencontre est une nouvelle histoire à découvrir, dure, touchante, joyeuse, encourageante, et tout ce qu’on peut trouver entre tout ça sur la palette des émotions.

Il y aura Pavle et Sava, deux jeunes frères élèves de la même école, qui nous marqueront par l’évidente misère dans laquelle ils vivent. Vêtements usés, chaussures trouées sans chaussettes… Milovan nous en dira plus sur leur quotidien : ils vivent avec leurs parents et leurs cinq frères et sœurs dans une maison vide où les seuls meubles sont constitués de planches en bois posés sur des parpaings. Nous demandons les âges des enfants et laissons un carton entier de vêtements et de chaussures pour toute la famille. Puis nous partons le cœur gros de n’avoir pu faire plus.

Pavle et Sava observent les volontaires préparant la distribution.

Il y aura cette école où nous sommes accueillis par seulement cinq élèves. Cinq enfants qui n’ont pas d’autres amis que chacun des quatre autres… Malgré le planning chargé ce jour-là, nous improvisons un match de foot dans le pré qui sert de cour de récréation. En repartant, Milovan confie à un volontaire qui l’accompagne qu’il lui arrive de pleurer en pensant à ces enfants : « Ils font partie de ceux qui ont la vie la plus difficile de tout le Kosovo-Métochie, leurs parents sont non seulement très pauvres, mais surtout terriblement isolés, alors que c’était une région très peuplée avant la guerre. » Le long de la route, des ruines se succèdent pendant plusieurs centaines de mètres…

Qu’importe le planning : l’isolement de cette école nous incite à improviser une partie de football avec ces enfants qui vivent si seuls…

Il y aura ces enfants qui chanteront pour nous deux chansons traditionnelles serbes du Kosovo dans leur école posée au milieu de collines couvertes de coquelicots, chansons qu’ils connaissent sur le bout des doigts et chantent avec beaucoup de cœur.

Dans cette salle de classe, une chorale s’improvise, qui nous interprète des chants traditionnels serbes du Kosovo, que tous les enfants connaissent par coeur.

Il y aura ce directeur d’école, très digne, qui nous affirmera ne manquer de rien… sinon de la liberté. Mais refusant de se plaindre des conditions matérielles dans lesquelles il est contraint de faire son travail : « J’ai des locaux en relativement bon état, j’ai des manuels, j’ai même quelques ordinateurs… Je ne suis pas à plaindre, beaucoup n’ont rien de tout ça. » Et de terminer en nous demandant de simplement revenir les voir : « C’est ça dont nous avons le plus besoin : de savoir que nous ne sommes pas abandonnés. Même les mains vides, revenez nous voir ! » Une phrase que nous entendons souvent et qui reste toujours aussi émouvante pour nos volontaires.

Il y aura cette enclave où le Père Serdjan a tenu à nous emmener parce qu’il y a un an et demi, pendant le convoi d’hiver, nous étions restés coincés par la neige gelée au début du chemin qui y mène. Chemin dont nous mettrons plus d’un quart d’heure à atteindre le bout, un quart d’heure de virages à flanc de collines, avec parfois quelques centimètres à peine entre nos roues et le bord du ravin. Là-haut, quelques familles avec des enfants effrayés par ces inconnus… Nous sommes sans aucun doute les premiers étrangers qu’ils voient. Une de nos volontaires devra déployer des trésors de persuasion pour parvenir enfin à obtenir un sourire discret de l’un d’eux. Nous repartirons en laissant plusieurs cartons.

Sommes-nous les premiers inconnus que voient ces enfants qui vivent dans une enclave perdue au bout d’un long chemin de terre défoncé, qu’on ne peut prendre quand il y a de la neige ?

Il y aura ces chants qui feront résonner les murs du Centre culturel de Gracanica à l’occasion des 700 ans de la fondation du monastère : « Cette jeune fille s’est avancée sur la scène, raconte un volontaire, puis a commencé à chanter. Mes très légères connaissances en serbe m’ont permis de comprendre qu’elle répétait “Nedam”, “Je ne donne pas”, puis qu’elle énumérait tout ce qu’elle ne donnerait pas : sa terre, ses églises, son village, ses montagnes… tout le Kosovo semblait être décrit dans son chant, déchirant et plein d’espérance à la fois. Et je revoyais moi aussi ces villages, ces églises, cette terre, que j’ai appris à aimer depuis quelques années que j’ai le bonheur de les parcourir pour en aider les habitants. Et je pleurais, de tristesse qu’il soit nécessaire de chanter ce chant, et de joie qu’il soit chanté aussi bien, avec tant de force et de courage. Si j’avais encore besoin d’une raison de vouloir revenir autant que je le pourrai, cette jeune fille venait de me la donner, de façon définitive. »

Les yeux fermés, comme si elle était seule au monde, elle chante ; elle chante le Kosovo, ses villages, ses paysages, ses monastères…

Il y aura cette leçon de français improvisée par les volontaires dans une des écoles visitées, leçon de français qui se transformera en leçon de serbe donnée par les enfants, qui s’amuseront autant de leur difficulté à prononcer le « on » de « bonjour » que de la nôtre à prononcer le « h » de « hvala ».

Un instant, l’élève devient le maître et apprend quelques mots de sa langue à ces étrangers.

Il y aura aussi ces regards noirs de passants découvrant nos plaques serbes quand nous traverserons des villes albanaises, ces grands panneaux publicitaires osant affirmer que « la Liberté s’appelle UCK », les checkpoints devant les lieux de culte serbe, les ruines des églises, les barbelés, les salles de mariage kitsch aux noms albanais ou anglais poussant comme des champignons à deux pas des ruines de maisons ayant autrefois appartenu à des Serbes, les panneaux sur les bords des routes où les noms en serbe sont barrés de noir, tous ces petits signes qui nous rappellent soudain la situation dans laquelle vivent nos amis serbes.

Le patriarcat de Pec et son enduit si reconnaissable. Pour nos camarades franco-serbes, c’est une visite au coeur de leur foi et de leur identité.

Mais il y aura surtout l’émotion de nos camarades volontaires franco-serbes devant la beauté du patriarcat de Pec qu’ils n’espéraient jamais avoir la chance de voir, la paix du monastère de Draganac où nos volontaires déposeront des cierges pour leurs proches mais aussi à toutes les intentions de nos soutiens en France, la joie naïve et éclatante des enfants ouvrant leurs cadeaux.

Dans la paix du monastère de Draganac, nos prières se tournent bien sûr vers ce Kosovo que nous aimons tant, mais aussi vers tous ceux qui nous permettent de l’aider.

Il y aura la solennité du monument de Gazimestan, élevé sur le site de la bataille du Champs des Merles que Milovan nous racontera avec émotion : « On a eu l’impression qu’il revivait cette bataille comme s’il l’avait vécue personnellement. Et en fait, c’est un peu vrai : cette bataille, cette folie de vouloir résister à une armée si puissante qu’il n’y a aucune chance de l’affronter sans y laisser sa vie, c’est un peu ce qu’il vit lui aussi chaque jour, en venant en aide inlassablement à ce peuple serbe qu’on a voulu charger de toutes les fautes du monde, qui a dû se battre sans espoir de victoire contre une armée encore plus puissante que celle de l’Empire ottoman, et qui doit aujourd’hui encore affronter l’injustice, l’ignorance et la haine… »

À nos pieds s’étale le Champs des Merles, théâtre de la bataille de Kosovo, qui sauva l’Europe de l’avancée de l’Empire ottoman.

Il y aura les moments de joie partagés avec nos amis. Il y aura la « Pogacha » rompue à la manière traditionnelle, celle qu’on réserve aux occasions où il y a un invité à honorer. Il y aura le « kolo » dansé dans la salle à manger de l’auberge où nous dormions. Il y aura ces larmes versées à notre départ par la propriétaire de cette même auberge quand nous lui avons donné la petite cagnotte récoltée auprès des volontaires passés et présents pour l’aider à réparer les dégâts causés par les inondations du début de l’année : « C’est rare d’avoir des amis comme vous. Revenez, revenez vite… »

Le Père Serdjan rompt la Pogacha avec notre camarade Vladan. Une façon de nous honorer et de nous remercier pour notre aide et notre amitié.

Il y aura enfin, sur le chemin du retour, cette déambulation dans les rues de Belgrade qui nous mènera, presque par hasard, au pied du monument « À la France » érigé en 1930 en souvenir de l’amitié franco-serbe, fondée dans le sang pendant la Grande Guerre. Nous nous y recueillerons un instant, fiers et heureux d’être fidèles à cette amitié que d’autres ont tant trahie, fiers et heureux d’avoir été pendant quelques jours les représentants de ce peuple de France que les Serbes aiment encore tant malgré les difficultés.

« Aimons la France comme elle nous a aimé », proclamait le peuple serbe en 1930. Nous retournons l’impératif et promettons à notre tour d’aimer la Serbie comme elle nous a aimé, et nous aime encore malgré tout.

Il y aura eu tout ça et tant d’autres choses que nous ne pouvons vous raconter parce que la place manque ou parce que les mots sont impuissants.

Merci encore à toutes les associations partenaires qui ont organisé pour nous et avec nous cette collecte de matériel scolaire. Et merci encore à vous tous qui avez rendu ce nouveau convoi possible par votre don ou par votre soutien.


Retrouvez plus de photos de ce convoi, avec des légendes explicatives, dans l’album dédié sur Facebook (accessible même sans compte), en cliquant ici.

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