Entretien avec Marion Chevtzoff, présidente de Solidarité Kosovo

Entretien paru dans le journal « Présent » du 8 janvier 2011

Marion Chevtzoff, étudiante en médecine de 25 ans, est devenue, fin 2010, la nouvelle présidente de l’ONG française Solidarité Kosovo qui vient en aide aux chrétiens serbes persécutés dans cette région du monde.

Pouvez-vous présenter Solidarité Kosovo (SK) aux lecteurs de Présent ?
Ce sont les pogroms antiserbes de mars 2004 – au cours desquels trente églises ont été rasées, plusieurs villages incendiés et des milliers de Serbes orthodoxes persécutés –, qui ont conduit mon prédécesseur, Arnaud Gouillon, à fonder cette ONG. 
En réunissant quelques personnes de bonne volonté, nous avons organisé un premier convoi humanitaire dès Noël 2004. Outre des vêtements, du matériel scolaire et de l’alimentation, notre camion apportait des jouets aux enfants chrétiens des enclaves afin que leurs parents aient, malgré une misère noire, un petit cadeau à mettre au pied du sapin. 

Et depuis vous continuez ?
Oui. SK s’est rapidement développée et, outre l’incontournable convoi de Noël, nous organisons plusieurs expéditions humanitaires par an. Nous avons également augmenté le volume de nos cargaisons, passant de un à trois camions ! Ce petit miracle s’explique par l’aide de partenaires qui nous fournissent une partie de l’équipement et par des donateurs chaque fois plus nombreux qui nous accompagnent tout au long de l’année. C’est grâce à leur générosité que nous pouvons nous faire connaître et prévoir des projets de plus en plus ambitieux. Sur place, nous avons également multiplié les contacts avec les médias, bien sûr, mais surtout avec l’Eglise orthodoxe serbe…

Qui vous a littéralement adopté ? 
Oui, car contrairement aux autres ONG, nous sommes en phase avec le clergé orthodoxe puisque partageons les mêmes valeurs. SK est désormais la principale ONG présente dans les enclaves chrétiennes du Kosovo. 

Vous venez de lancer un grand projet avec le patriarcat serbe…
Oui, l’Eglise – qui remplace l’Etat au Kosovo – a choisi SK pour mettre en place un bureau de centralisation de l’aide humanitaire. C’est un grand honneur et une immense preuve de confiance, car nous n’étions évidemment pas les seuls candidats ! Jusqu’alors, le Kosovo ne possédait pas de structure pour gérer l’aide humanitaire et ne pouvait pas faire remonter les besoins des gens jusqu’aux ONG. SK a donc ouvert ce bureau en louant des locaux et en salariant plusieurs personnes. L’objectif est de dresser un inventaire précis des besoins : quel hôpital doit renouveler son matériel, où se trouvent des familles en grande difficulté ou des personnes âgées isolées, quelle école a besoin de tables et de chaises… A Noël, nous avons même offert un tatami à un club de judo !

Comment s’est passé ce convoi de Noël ?
C’est vraiment le plus exaltant de l’année ! Nous avons distribué deux tonnes d’aide humanitaire dans les différentes enclaves où nous avons toujours le plaisir de retrouver des visages connus. Je dois vous avouer qu’une de mes grandes joies est de regarder grandir des enfants que je vois, à chaque visite, devenir des hommes et des femmes debout, témoignant sans faiblesse de leur identité et de leur foi.  

Quelle leçons tirez-vous de ce voyage ?

Pour répondre totalement aux multiples besoins, nous devrions organiser un convoi par mois ! J’espère qu’avec l’aide de nos donateurs nous pourrons y parvenir. Ensuite, nous devons aider ces familles à acquérir une autonomie financière afin de leur offrir une possibilité de vivre dignement de leur travail. Ces gens ne peuvent pas demeurer plus longtemps des réfugiés dans leur propre pays ! Enfin, même si ces voyages sont parfois moralement éprouvants, vos lecteurs doivent savoir que les chrétiens du Kosovo nous offrent l’exemple d’un courage qui nous donne la force de continuer notre mission et de nous battre pour que la France ne connaisse par un jour le sort du Kosovo.


Propos recueillis par P.-A. Bouclay

Site internet : www.solidarite-kosovo.org

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Histoire
Le Kosovo est beaucoup plus qu’une province pour la Serbie. Il est serbe jusque dans son nom. Kos signifie « merle », du nom de la bataille du Champ des merles en 1389, perdue par les Serbes et ouvrant cinq siècles d’occupation ottomane. Kosovo signifie littéralement « ce qui appartient au merle ». Jusqu’en 1912 et la première guerre balkanique, on appelait cette région « vieille Serbie ». Pour être exact, il faut parler de Kosovo-Métochie. « Métochie » vient du grec « metohion », qui désigne les terres de l’Eglise. Ce qu’est le Kosovo, cœur spirituel de la Serbie, avec plus d’un millier de monastères et d’églises, dont le patriarcat de l’Eglise serbe, à Pec, et des joyaux, comme le monastère de Gracanica, classés au patrimoine mondial par l’UNESCO.
De nombreux Serbes quittent une première fois le Kosovo à la fin du XVIIe siècle, fuyant les violences des Turcs et des Albanais. Mais en 1870 ils composent encore 60 % de la population. En 1941, la guerre les chasse à nouveau. Le Kosovo est rattaché à la grande Albanie, sous tutelle italienne. Les Albanais passent ainsi de 35 % en 1939 à 70 % en 1945. Tito interdit tout retour des expulsés, encourageant l’immigration albanaise. Pour lui, la Yougoslavie ne peut être forte qu’avec une Serbie faible. En 1974, il crée la province autonome du Kosovo. Des années 1960 à la fin des années des années 1980, plus de 200 000 Serbes sont contraints à l’exil. Il faut attendre 1989 pour que le statut de province autonome soit supprimé. Mais les Serbes ne sont plus alors que 15 %. La suite est connue. Prenant prétexte de la mise en scène du massacre de civils albanais (il s’agissait en réalité de membres de l’UCK) et après l’échec programmé des négociations de Rambouillet, l’OTAN lance en mars 1999 sa « guerre humanitaire ». 200 000 Serbes quittent le Kosovo, qui déclare, en 2007, une indépendance reconnue par seulement 70 Etats. Dont la France.

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